Un lundi soir à Durango, épisode II
II- Les cuadros 17 et 18 ont résisté
On entre dans la ville de Durango, en venant de San Sébastian, au moins, par une ligne droite descendante. Elle est longue, se faufile entre deux haies de gros immeubles qui plus on avance et plus ils obstruent la vue sur les deux monts qui semblent regarder de loin la ville. Ils ne rendent pas les jours plus courts ces ensembles de béton que chaque balcon essaie d’égayer à sa manière mais ils les rendent plus sombres; c’est au moment où le soleil devient d’autant plus bas qu’ eux sont beaucoup plus hauts. Jean Marc Olharan qui vient ici, mais pas ici seulement, un peu partout en Biscaye, depuis des lustres, sait qu’il y eut une période où la ligne droite que l’on descend lentement dessinait une autre localité voisine de Durango, et puis que de bâtiments en bâtiments, de constructions en constructions cette autre localité, Uribarri n’est plus devenue qu’un quartier intégré à Durango.
Les « cuadros » 17 et 18
Jean son fils vient depuis moins longtemps. Il sait cependant que si le béton a envahi l’espace, que si le square aménagé pour les enfants pousse à l’ombre des immeubles bien plus que celle des arbres, il a laissé intact un coin d’histoire. Il existe à Durango, dont on s’approche désormais par une voie à sens unique, plus large et plus dégagée puisqu’à droite c’est la voie ferré qui passe, il existe un pan de mur qui n’a pas bougé depuis 1955, enfin pas bougé c’est un bien grand mot. Comme toute chose il a vieilli le mur portant la mention « cuadro 17 et 18 ». Le cuadro, dans un jaï alaï, c’est le numéro de la ligne, en partant de la 4, la ligne de faute lorsqu’un joueur bute; l’autre très sollicitée, c’ est la 7, celle du « pasa », c’est à dire de la demi faute, au but toujours.
Les autres lignes elles sont numérotées pour donner une physionomie de la partie, un instantané, voir jusqu’où les pelotes sont balancées et quand il n’y a plus ni lignes ni numéros de lignes c’est que l’on est au fond de la « cancha ». Alors quand la pelote va rebondir jusqu’à ce mur de fond le joueur doit « erréboter » pour la renvoyer sur le mur de frappe. Cette parenthèse pour ceux qui nous feraient l’honneur de suivre ce voyage à Durango et qui ne seraient pas totalement au fait des choses techniques de la cesta punta.
Le plus grand de tous
Donc à Durango, presqu’au bout de la « Ezkurdi plaza », un pan de mur défraîchi mais un pan de mur pour l’histoire nous dit qu’ici se terminait le fronton de Durango, l’ancien bien sûr. Et si l’on a décidé de faire survivre au modernisme les cuadros 17 et 18, ce n’est pas un hasard, c’est simplement pour bien montrer qu’il était le plus grand de tous les murs à gauche existant. A raison de quatre mètres entre deux cuadros, on atteint 72 mètres de longueur. Par comparaison le jaï alaï à Pau mesure 54 mètres et n’a que 14 cuadros !
Tout le reste de cette Ezkuri plaza, ne montre plus aucune trace de ce qu’était Durango à l’époque des cuadros. Elle fait plutôt grande allée la plaza en question, très grande allée certes mais allée, style « paséo » comme ils disent, dès qu’on passe la frontière, pour nommer l’ endroit de la promenade du quotidien.
Une place comme une large allée
Quand l’après midi les gens vivent bien davantage dehors que dedans. Quand ils vont au devant du dernier rayon de soleil chauffant encore. Quand les terrasses des cafés ne laissent plus guère de chaises vides. Quand les enfants jouent un peu partout sur cette grande aire ronde aménagée pour eux. Quand les joggers passent assez vite indifférents à cet atmosphère vivante, et bruyante, oui mais d’un bruit particulier. Tout ce qui est motorisé a été prié de rester en haut de la montée, là où l’on se gare en épi étroit quand on a la chance qu’un épi soit libre.
Là, une croix verte en néon signalant une pharmacie sert de phare jusqu’au début de la « plaza », vous y arrivez et tout de suite sur votre gauche un immeuble attire l’œil, il arrive au bord en s’étant peu à peu rétréci, on imagine sans peine la proue d’un paquebot quand il arrive au port…Il est, cet immeuble, du dernier cri, à l’image de ce quartier bétonné, mais d’un béton doux, d’une couleur ocre comme si l’on avait voulu rappelé celle de la la terre.
Le bar « Alex »n tapas et photos
Sous la haie d’immeubles qui part de la pharmacie, une galerie dont les bars sont les plus fidèles, occupants. Le « bar Alex » est le plus couru les soirs de pelote, il est le premier voisin du jaï alaï, il expose également d’excellentes tapas tout le long de son comptoir, alors c’est un peu lune salle d’attente. Le jaï alaï, parlons en, sa porte d’accès ne diffère pas de celle d’un immeuble un peu cossu et ils le sont tous sous ces arcades. Il n’est donc pas annoncé à grands renforts de panneaux d’affiches, d’enseignes, non, une seule mention, et encore écrite de bas en haut sur un pilier vous indique que c’est là, mieux vaut le savoir pour une première venue.
Le « bar Alex » a donc tôt fait de vous connecter à la pelote, celle d’aujourd’hui, il en est au coeur, celle d’hier aussi. Il prend le relais du cuadro 17 et 18, et affiche, sur ses murs blancs, des photos d’époque, une époque où le numérique n’existait pas, ou l’agrandissement d’une image exposait à une perte de netteté. Pourtant sur le mur du fond, derrière quatre dames d’un âge certain, bien mises et bien apprêtées, comme pour un dimanche, le verre de vin blanc posé sur la table basse, pas encore entamé, un grand poster restitue l’ensemble un jour de partie… D’autres cadres moins grands garnissent les murs adjacents. Le fronton ne laissait visiblement pas beaucoup de place à autre chose, il mangeait toute la place ou presque. Il a du falloir en casser de la pierre pour aller caser la nouvelle antre des pelotaris de Durango là dessous. ! Mais pas seulement le jaï alaï, puisqu’ici tout respire le neuf, enfin le pas très vieux...
Gérard Bouscarel
(à suivre)