Reportage Pau, la belle histoire cubaine
« Ils ne sont plus très légers, ils n’ont plus joué dans un trinquet depuis des lustres, mais ils ont toujours ce même fabuleux poignet en caoutchouc » derrière la vitre épaisse du complexe palois, Pierre Bonnet-Badillé, le référent « cuir » à la Section, le monsieur « paleta tour » aussi, observe avec intérêt les premiers échanges de la partie qui débute. Elle oppose Armando Chappi Médina et Michel Moura à Azuan Perez et Rafael Fernandez, soit trois cubains d’origine et un béarnais de Monassut. Les quatre joueurs de pala locaux qui viennent de suer une heure ne se doutent pas qu’ils viennent de céder la cancha à deux anciens champions du monde dont l’histoire est peu commune, même si le monde sportif ne compte presque plus les cubains qui profitant d’une compétition internationale choisisse de changer de vie, de s’expatrier ! Quand on leur pose la question sur cette décision forte, on les met visiblement dans l’embarras, ils détournent la tête et ne souhaitent plus que regarder devant.
Perez et Fernandez ont choisi Miami, comme en 2019, « Chappi » venu à Oloron disputer la coupe du monde en trinquet, choisissait le Béarn. Perez et Fernandez avaient 25 et 29 ans lorsqu’ils offraient à Cuba le titre mondial de pala corta. C’était à Toluca au Mexique et au dépens de la France de Sylvain Brefel. Ironie du sort ou clin d’oeil de l’histoire, Le champion français plantait son « fronton serie’s » à Pau à l’heure même où ses bourreaux de l’époque quittaient la cité royale direction Paris et le ligue des Nations première du nom. Dans la capitale ils porteront et le drapeau et le maillot à la bannière étoilée, ils seront la délégation américaine toute entière, ils auront l’ambition d’une médaille ultime, mais avant tout le bonheur d’avoir reconstitué le duo qui grimpa jusqu’au sommet de la pyramide internationale, privilège assez rare pour la pelote cubaine.
« S » comme système « D » et Solidarité
A Pau alors que la nuit s’avançe déjà et que la « champion’s league » de foot monopolise l’attention et les écrans, Perez et Fernandez s’échauffent avec le maillot de USA, gros écusson brodé sur le coeur. Au delà de l’équipement leur fédération a payé le billet du voyage de La Havane à Pau, rien d’autre ! Ce mini stage de préparation palois, ce camp de base béarnais, il a un noms, « système D » », et cette « débrouille » aussi elle s’appelle solidarité entre ceux qui ici ou là ont choisi un autre monde, un autre modèle de vie, quitte parfois à tout perdre y compris la pratique de leur sport favori.Car il n’y a pas le moindre trinquet ni à Miami ni alentour et s’ils jouent encore Perez et Fernandez, c’est au fronton, comme quand ils étaient gamins à La Havane ou Guantanamo, avec une pala et une grosse balle de tennis.
Chappi, l’incontournable relais
A Pau, ils ont retrouvé un trinquet histoire d’en respirer l’odeur, de redécouvrir les gestes si particuliers dans cette immense cage avec tambour et filet, histoire de ne pas débarquer à Paris comme des débutants...Ils ont aussi trouvé les indispensables samaritains indispensables à la poursuite de l’aventure. Chappi, le premier, de son vrai nom Chappi Médina, ancien très bon joueur finaliste notamment d’un championnat du monde espoir, battu par Baptiste Hourçourigaray et Cambos en Uruguay, est le premier à s’être établi chez nous, au prix d’un vrai parcours du combattant. C’était en 2019. La Section de Gérard Pierrou lui ouvrit les portes de son complexe, quelques autres lui fournirent des petits boulots. Sa ténacité, son courage, sa volonté de forcer tous les verrous en font aujourd’hui le brillant patron d’une pizzeria à Loudenvielle. Il ne joue plus désormais sinon pour le plaisir ou pour rendre service, faire le quatrième lorsque deux cubains sont annoncés, deux cubains qu’il admirait tout petit quand lui commençait à peine à jouer au fronton cubain chez lui au pays. Tout naturellement ou presque, il est l’homme incontournable pour les compatriotes qui passent.
Peïo l’autre aficion de la culture
L’autre passionné qui fait les liaisons avec ce petit monde de déracinés, c’est Pierre Bonnet-Badillé, le référent « cuir » à la Section. Il a une vraie fascination pour ces pays lointains qui avec pas grand-chose fabriquent tout de même des champions. La pelote argentine, uruguayenne, cubaine n’a plus de secret pour lui dès qu’on parle du « bois ». Parce qu’il a toujours mille idées en tête, des projets plein son cartable, Peïo ne désespère pas de réunir un jour tout ce beau monde. En attendant, il se nourrit de ces contacts, il les favorise et les provoque aussi. Dans la chaîne, il est aussi un maillon important celui qui, via son président Pierrou, ouvre les portes de la Section Paloise, « monte » les parties. Les deux anciens champions du monde parlent de Chappi et de Peïo, encore plus vite qu’à l’ordinaire, peut-être pour mettre encore plus de mots dans leur propos, mais la reconnaissance est au bord des lèvres et semble déjà éternelle.
Dans les groupe de l’Argentine, intouchable, de l’Uruguay, un beau morceau, et du Chili, plus tendre, Azuan Perez et Rafael Fernandez arracheront-ils la deuxième place qualificative pour les demi-finales à Paris ? « Ce sera difficile, ils n’ont plus les jambes d’il y a dix ans », confie Peïo qui nuance » chez eux l’instinct de survie et la grinta sont des vertus innées alors.. » Et si avec ou sans deuxième place, avec ou sans médaille ces deux là dont le regard semble ne plus jamais devoir s’illuminer réussissaient autre chose en venant à Paris ? Ils vont y rejouer ensemble pour la première fois depuis leur couronnement mondial de 2014, les « déserteurs » de 2022, et en sachant qu’ils n’auraient pu le faire sous leur drapeau de naissance, Cuba faute de moyens a annoncé au dernier moment le forfait de sa délégation.
« Puro amor »
« Alors, cette participation sous casaque américaine rest une petit coin de ciel bleu dans une vie qui recommence à zéro ou presque. Ils ont commencé par laver des voitures quand on voulait bien les leur confier. Et puis comme Chappi, accrochés à cet espoir de liberté, ils se sont battus, non pas dans les trinquets, ils n’en n’ont plus à disposition mais dans la rue, les porte à porte aujourd’hui, les voitures ils les vendent. L’un deux a même reçu un coup de fils tandis qu’il se changeait sous le tambour du trinquet palois du coup il s’est fait attendre. Parce qu’aujourd’hui pour Asuan Perez et Rafael Fernandez à 36 et 39 ans le pelote ce n’est plus que par « puro amor », le reste, tout le reste, et c’est beaucoup il est à reconstruire.
Gérard Bouscarel