Pierre Péré, il mariait pelote et pédagogie.
Pierre Péré ! Péré comme tous les Péré, ou presque, et il y en a un certain nombre. Un nom de famille aussi ordinaire que son histoire, pour partir de Bizanos et y revenir sans faire la moindre boucle, sinon celle obligatoire passant par l’Algérie, est extraordinaire.
Où ce Péré là est moins ordinaire, beaucoup moins ordinaire, c’est qu’il vient de poser la dernière branche sur l’arbre généalogique de la famille et qu’il remonte jusqu’à l’époque de Louis XIII. On ne jouait encore qu’au jeu de peaume, pas à la pelote. La pelote, Pierre Péré la découvre quand il a dix ans, en 1950, parce que « papa m’emmenait voir les parties au Stadium », tout proche; les bizanosiens il est vrai n’ont, pour beaucoup, que l’Ousse à franchir pour s’en rapprocher. Alors, quand tonton Charles, le bijoutier de Bayonne, lui propose de commander pour lui un chistera au père Noêl, la seconde proposition de l’oncle, un mécano, tombe vite à l’eau.
« Tu aimes ce jeu petit ? »
C’en est terminé des parties avec les copains, les boites de conserve trouées et les balles de tennis, sur le tout petit fronton du stade de la JAB, là où il n’était pas rare de croiser Jean Larqué, le père de Jean Michel, il entraînait et Péré père l’assistait.
Le tout jeune Pierre est autonome désormais, chistera sur le guidon il est au Stadium de la gare en quelques coups de pédales, parfois sans rien dire à personne. Le grand monsieur qui regarde jouer l’enfant pas maladroit du tout, n’est autre que le docteur Anthony, celui dont on dit qu’il a beaucoup fait pour la pelote à Pau, et très tôt. Peut-être même, disent les gazettes longtemps après, que ce sport là n’aurait pas été ce qu’il est s’il n’avait pas planté ces bases là le docteur dont l’autre passion était la poésie. « Tu aimes ce jeu petit ? » interroge un jour le toubib, « tu as des copains ?» poursuit-il… « Alors revient quand tu veux » !
Un bail de 30 ans
Pierre Péré, aime ce jeu, il a des copains, bien sûr, il est revenu. Celui qui sera le président de la Section Paloise fut son premier éducateur, un bien grand mot à l’époque où la mise en place des instances n’en n’étaient qu’aux balbutiements. Quand vint l’époque où ça balbutiait un peu moins, le docteur Anthony hérita de la commission chargée de promouvoir la pratique du « joko garbi », ce jeu dit aussi petit gant, « où l’on caresse la pelote, on ne la frappe pas » sourit joliment Pierre Péré. Ce jour là et quelques autres qui suivirent, Pierre Péré, signait un bail avec la pelote, le joko garbi, un bail de 30 ans qui le conduit jusqu’en 1980, à une dernière finale, un dernier titre chez les indépendants. C’est au rebot, plus au yoko. Il en parle comme si c’était hier Pierre Péré, il parle de tout comme s’il y était encore, ce n’est pas une mémoire c’est un livre, mais ça lui va bien puisqu’il en a écrit quatre, sur la pelote bien évidemment, mais pas que. Le conseiller pédagogique du secteur Henri IV qui succéda à l’instituteur ne fut jamais loin du champion de pelote. Les deux firent toujours bon ménage.
« Nous sommes à 49 partout, j’en garde un peu »
Ce n’est pas hier 1980, mais Pierre Péré alerte octogénaire, bouscule les horloges pour raconter le dernier point d’une demi finale, bien plus acharnée que la finale. « Nous jouons à St Jean de luz, contre Poulou, Etchevers et Apesteguy, c’est très fort. Nous sommes à 49 partout, la partie est en 50. Je vais vois mes deux partenaires avant le dernier but et je leur dis, surtout patience patience et patience… Je vais en garder un peu dans le gant et dès que Poulou reculera un peu, j’envoie. Il a reculé de 4 mètres Poulou, pas plus mais ça a suffi, j’ai envoyé et mes avants ont conclu devant. » En prime, vous apprenez qu’Apestéguy, était un descendant direct de l’icône Chiquito de Cambo dont le véritable nom est Joseph Apestéguy.
C’est là le dernier des sept titres nationaux que Pierre Péré accroche à son riche palmarès le premier, en cadet (1956), les deux suivants avec la Section (1959, 60), les autres en tant qu’indépendants (1971, 74, 75, 80). On peut y ajouter deux Open (76, 77). Non pas qu’il ait remisé le gant, non pas qu’il se soit lassé, simplement que le docteur Anthony lui fait découvrir le rebot, cet spécialité qui se joue à cinq.
Le rebot, quel jeu merveilleux
Et pour Pierre Péré, le découvrir c’est l’adopter, c’est en tomber amoureux. « Le docteur Anthony nous faisait faire les levers de rideau au Stadium, vu que les compétitions ne commençaient qu’en cadets pour les jeunes. On y voyait jouer André Chatelain, un phénomène, Jean Urruty, Charlot Loustaudine et bien d’autres ténors, il suffisait que l’on soit habillé tout en blanc. » Ce n’est pas le seul cadeau fait aux jeunes pousses par cet homme si attentif.
En 1954, la Section est en finale du championnat de France de rebot. Elle joue à Baïgorry contre Hasparren, et deux bus de supporters l’accompagnent. Pierre Péré est du voyage, sur place, le docteur Anthony lui glisse à l’oreille de se mettre à la « niche », il y appréciera mieux les finesses de ce jeu. La « niche » c’est également là que les joueurs ont entreposé leur bouteille d’eau. Il les verra de près à l’heure de se désaltérer. Le gamin de 14 ans ouvre ses yeux en grand, et tient ses oreilles en alerte. Il voit tout, il entend tout, le petit Pierre, notamment quand Marcade apostrophe Tournerie : « Maintenant c’est fini, c’est tout pour toi, la partie tu la prends et tu ne la lâches plus »… Et ainsi fit Tournerie du haut de son mètre cinquante huit et la Section (Marcade, Matrassy, Tournerie, Cassagne, et Mathias Altuzarra buteur) coiffa la couronne, la première de la spécialité obtenue chez les seniors.
De Pampelune jusqu’au ministre des sports
Pierre Péré rit encore au souvenir du calvaire des Haspandars sous les coups de boutoir de Tournerie : « Ah ça oui, il leur en a fait bouffer de la cuvette, ». La cuvette c’est à Baïgorry et nulle part ailleurs. Ici, la route qui passe appartient au fronton les jours de compétition. Elle entraîne sa fermeture et dévie les automobilistes pour traverser la commune. Et comme elle est bombée, elle crée de chaque côté une cuvette dans laquelle la pelote prend de drôles d’effets Au delà de l’anecdote, le rebot vient de faire un adepte, de conquérir un gamin qui trouve « ce jeu merveilleux », Pierre Péré 14 ans tout juste. Deux ans plus tard il est champion de France avec les juniors de la Section. Malgré son amour pour ce jeu, il n’ aura pas d’autres couronnes à fêter, les trois autres finales disputées seront toutes perdues. On parle d’amour à dessein. Pour ce rebot si séduisant, il ira plus tard jusqu’aux archives de Pampelune pour en recomposer le chemin. Sa passion pour l’histoire est connue dans le cercle des pelotaris, elle lui vaut un jour de recevoir un document « susceptible de t’intéresser » précise le correspondant espagnol. Susceptible ? Vous plaisantez, c’est le premier règlement du jeu de rebot paru, il date de 1847. Pierre Péré possède entre les mains la première pierre de l’ ouvrage « Rebot passion » qu’il va construire, et qui est en 2004 « lauréat du prix de technique et de pédagogie sportive ». Pierre Péré monte à Paris, il est reçu au ministère des sports par Jean François Lamour, l’excrimeur champion olympique devenu minsitre. « Nous avons même eu droit au tapis rouge. La veille c’était l’inauguration du nouveau ministère et il était encore en place » se souvient le bizanosien de toujours, comme il se souvient que Monique Berlioux et Jean Bobet étaient eux aussi reçus.
" Chistera, yoko garbi mon ami"
Ce n’est pas le premier écrit de Pierre Péré, l’instit devenu conseiller pédagogique pour la circonscription Henri IV. Ses premières pages, elles sont titrées « Au pied du fronton » et datent des années 1990. Elles ont certes une forte coloration pelote, mais ce sont des « unités d’apprentissage » que les Comités Départementaux de Documentation Pédagogique devaient fournir aux instituteurs.
L’écriture c’est la passion de cet octogénaire définitivement retiré du monde de la pelote depuis 2001 lorsqu’il en eut « ras le bol » de présider la commission pédagogique et technique de la fédération. « Quand je rentrais en voiture, tard le soir je me demandais toujours ce que j’avais fait, et plus ça allait et moins je trouvais de quoi répondre... ». Il était en revanche encore tout feu tout flamme lorsqu’en 1997, il a publié « chistera yoko garbi mon ami » un très bel album à la couverture « vintage » donnant au lecteur toutes les clés pour la pratique de ce jeu. L’ouvrage était en fait le prolongement de son investissement sur le terrain auprès des jeunes de la Section, de 1976 à 1991 il s’efforça de rendre sur la cancha tout ce que le docteur Anthony et Jacques Marcade lui avaient donné et c’était beaucoup. La dédicace leur est d’ailleurs destinée, à eux deux et à son père.
Le créateur du « chister »
Le pédagogue Pierre Péré n’a pas seulement joué et bien joué à la pelote, il n’a pas non plus uniquement expliqué la pelote sur du papier, il n’a pas été au joko ce que Georges Alliez fut au grand gant, un éducateur habité, il s’est aussi permis de la matérialiser cette pelote. Le créateur du « chister », ce chistera en PVC qui permet aux débutants « le contrôle complet d’une balle en toute sécurité. », c’est lui.
On vous l’avait dit en préambule, son patronyme, Péré, est commun, répandu aussi, mais vous en connaissez au moins un désormais dont le parcours et la carrière sortent de l’ordinaire pour tutoyer l’extraordinaire. Et encore s’est-on attaché au seul conseiller pédagogique et pelotari de talent… A d’autres de prendre le relais, cet homme, captivant et éclectique, n’a pas que la pelote dans son fourreau. Il y a Bizanos également. En témoignent ses deux autres ouvrages : « Bizanos, Pau et l’eau », jailli en 2012, d’un tas de documents, vieux pour certains de deux siècles. Ils dormaient, sous le foin, dans une armoire, d’un arrière arrière grand-père. Le second plus actuel, publié en 2020, il propose aux randonneurs un parcours historico-sportif de 9 kilomètres de long, du château de Franqueville au château de Franqueville. Pierre Péré l’a reconstitué, traçé et parsemé de 20 balises dont le QR code donne accès à ses textes.
Gérard Bouscarel
Nos photos, de gauche à droite:
*Pierre Péré la main sur la la coupe dont il garde un souvenir fidèle: c'est à l'issue d'un tournoi à Abitain, la patrie de Pierre De Chevigné. "tout le monde l'appelait "Monseigneur". Je n'oublierai jamais son regard bleu acier et perçant.
*Un "chister" à la main, le gant éducatif qu'il a créé.
*Ce sont ces travaux qui ont été le support de la thèse en doctorat en études basques que Renée Evelyne Mourguy a présenté devant un jury au lycée Michel Montaigne de Bordeaux. Le résultat ce sont 900 pages réunis en quatre tomes dont il a reçu un exemplaire.