Pierrou père et fils sur le GR20 "Chaque refuge est une victoire"

Dire qu’ils se sont lancés sur les premiers hectomètres du GR20 avec l’ excitation du gamin devant le sapin de noël et la fièvre du futur marié sur le péron de la mairie, est un doux euphémisme. Pensez, la veille du départ, ils avaient rallié le camp de base de Calenzana sur le coup de midi, c’est à dire à une heure de grosse chaleur et où le camping est désert les randonneurs partis le matin tôt ne rentrant guère avant 16 heures pour les premiers. Christophe et Hugo ont donc tout loisir de se poser et de poser leur tente, puisque c’est le mode de logement qu’ils ont choisi. Bon, loisir n’est pas franchement le terme approprié. Galère irait mieux; ils suent « sang et eaux » sur ce carré de verdure dont ils délogent fourmis et autres insectes, pour monter leur tente; s’endormir à 20 heures ne s’improvise pas non plus, même si vous devez vous lever à 4h15, et puis, les groupes qui en ont terminé du GR20, pour l’avoir fait dans l’autre sens, n’ont pas de raison, eux d’aller au lit, alors ils parlent un peu plus fort que les autres…
La douleur 2 heures après le départ
La mauvaise nuit n’altère en rien le « peps » de nos deux compères, l’apprentissage du pliage assis des coussins, matelas, sacs de couchage non plus, à 4h45, la frontale vissée sur le front ils attaquent bon pied bon œil le premier des cent quatre vingt kilomètres du parcours. Bon pied bon œil, ça ne dure que deux heures, le temps pour la bonne vieille douleur au psoas dont souffrit Hugo, de se réveiller et de plomber la journée. « Tu modifies ta démarche, tu compenses avec l’autre jambe, oui mais dans la tête, la rengaine c’est, et si demain je ne peux pas repartir ? »
Vaille que vaille, le duo se cramponne, il n’est pas encore, c’est heureux, dans la haute montagne, mais au bout de 10 heures d’effort, les 24 kilomètres parcourus sur 2200 mètres de dénivelé positif, n’ont qu’un mérite, celui d’avoir entamé le moral des troupes. « Par le passé, cette douleur elle m’ a toujours interdit de poursuivre, contraint de dire stop »…
Mais ça, Hugo c’était avant…Aujourd’hui, en Corse c’est un réveil sans douleur, pour le moins bien moindre, et puis c’est aussi « no courbatures » quant vous rentriez, papa et toi, de vos entraînements pyrénéens perclus de douleurs. « On a été bluffés, oui »
40 kms sur 180 c’est peu…
Pour une bonne nouvelle c’est une bonne nouvelle. Et plus encore car l’étape 2 du GR20, elle passe par le Mont Cinto, le plus haut de Corse, elle passe par la « pointe des éboulis » redevenue la piste officielle depuis la fermeture du « cirque de la solitude » (1), elle passe par des crêtes, des murs, des cheminées, des horreurs quoi ! « Dès la sortie du refuge, tu passes une passerelle et tu montes sur 8, 900 mètres ! « Au moins tu es dans le bain puisque l’étape comprend 8 à 9 heures de montée » se souvient Hugo, quand papa note que « techniquement tu ne rencontres pas plus dur que cette étape, donc mentalement ça aide, mais le revers de la médaille c’est qu’au bout tu as parcouru 40 kms et 40 sur 180, c’est peu !»
Sûr que ce n’est pas beaucoup mais ce fut si exigent, si éprouvant que si en plus vous n’aviez pas mangé chaud, pas bien dormi quel eut été le bilan de ce jour 2 ? Or, l’intendance a bien failli ne pas suivre, ce jour là, ça c’est même joué à peu, très peu, un dernier kilomètre en courant très exactement!
Le kilomètre qui sauve les repas
Le lac au bord duquel arrivent nos deux Pierrou est si beau, l’eau y est si claire, que le fiston ne résiste pas à son appel il décide d’y faire trempette, vite fait bien fait tout de même car l’heure tourne… Elle tourne si vite qu’elle compromet l’arrivée dans les temps au refuge pour commander les repas! On sait que c’est là un impératif !
Or depuis qu’il est sorti de l’eau Hugo, est comme un pinson - poisson eut été plus de circonstance on en convient - les lourdeurs de fatigue dans les jambes ? Englouties dans l’eau fraîche ! Du coup, ses jambes il les prend à son cou pour avaler le dernier kilomètre en courant… A son arrivée, l’hôtesse interroge : deux repas pour ce soir ? La réponse du cuisinier fait sursauter Hugo, « OK, ce sera les derniers ! »
Quand Christophe arrive peu après il passe devant deux personnes, pas sûr qu’elles aient tout compris.
Sur le GR20, le jour d’avant n’est jamais comme le jour d’après, vice et versa, le dénivelé, le relief, le parcours, les monts, les « pierriers », les crêtes, vous guettent comme autant de pièges… Au matin du Jour 3, le réveil à 4 heures, les 12 heures de marche pour 31 kilomètres parcourus avec 1400 mètres de dénivelé positif, n’y suffiront pas pour remplir l’objectif numéro1 du programme: rejoindre le refuge dans les temps puisqu’on sait désormais qu’il est compté... !
« Tu dors avec les vaches »
C’est Christophe qui s’est baigné aujourd’hui et c’est père et fils qui ont marché dans l’herbe verte autour du lac, qui ont bu, beaucoup bu et bien rechargé les gourdes, dont celle qui filtre, question de sécurité. « Nous étions un peu à sec, c’est vrai. » Quand ils arrivent à la bergerie qui est sur le parcours un mini refuge, ils ne sont plus qu’à 45 minutes du vrai refuge où ils ont réservé leur carré vert pour planter la tente. Mais ces 45 minutes, elles ne seraient que 30, 25 ou même 20 ce serait pareil: ni la tête, ni les jambes n’en veulent. Elles font non, non et non, comme une poupée jadis. « Nous étions rincés, incapables, d’aller plus loin », c’est lâché en choeur.
Du coup, pour ne pas vivre avec ce raté, pour rester un tantinet « zen », l’aîné décide de faire sa lessive. Le soleil est encore haut, le linge posé sur le rocher va vite sécher. Tu parles Charles, le rocher il est si vite à l’ombre que le linge est encore trempé le lendemain, Christophe marchera avec les chaussettes d’Hugo. Et en prime, ils n’ont pas super bien mangé et dormi au milieu des vaches...!
Demain, c’est le jour 4 du plan d’Hugo, l’arrivée à Vizzavona. C’est la bascule entre le GR20 du nord et le GR20 du sud. Le GR20 très montagne et le GR20 moins montagne. Les deux Pierrou démarreront avec un handicap de 45 minutes, un tour de pénalité disent les gens du biathlon. « Tu vas tellement loin mentalement qu’au moindre petit contre temps, la moindre contrariété, tu deviens irritable, les nerfs à fleur de peau», la philosophie de tout ça, Hugo Pierrou la connaît : « en fait, chaque refuge est une victoire »...
(1) En juin 2015, un violent orage avait provoqué de gros éboulements et sept randonneurs avaient été emportés. La « voie du cirque de la solitude » a depuis été fermée.
Gerard Bouscarel
à suivre:
III- « Notre épreuve de confort à nous »