Le Gant, c'est toute une histoire

« Regarde comme c’est lisse, la pelote gicle, tu gagnes en vitesse, tu tapes plus fort », Jean Olharan passe et repasse sa main sur l’osier tressé à la pointe de son gant. Le champion palois ne câline pas son gant, mais le geste n’est pas anodin, il enferme du respect, de l’affection peut-être même. C’est de son outil de travail dont il est question, le gant de la cesta punta, que l’on dit grand chistera quand la pelote se joue en place libre sur le fronton.
Le gant qui peut-être grand donc pour jouer à la cesta punta en jaï alaï, ou petit pour la pratique du joko garbi en mur à gauche, n’est pas un instrument ordinaire, c’est une histoire. Toute une histoire. Il n’y a pas d’école pour former les fabricants de gants, c’est un héritage, une transmission de savoir, un hymne à la patience.
« Cesteros » et pères de champions
Ce ne sont pas des fabricants d’ailleurs, ce sont des « cesteros » joli mot de la langue de Cervantes, en référence à la culture pelote des gens de Biscaye, Navarre ou Guipuzcoa. Le pays basque français a les siens aussi et les joueurs les couvent tant il est vrai qu’ils ne sont pas légion, et que l’on compte davantage ceux qui arrêtent que ceux qui débutent. Laurent Sorozabal, le père des deux champions de France en titre, Johan et Gorka, de l’internationale, Oyhana, est de ceux-là. Sa production est surtout destinée aux gens du BAC, le Biarritz Atlétic club, dont il est l’employé, mais les gants de Jean Olharan, c’est lui qui les lui façonne. Très présent aussi dans le cercle puntiste ou place libre, Peïo Gonzales, également papa de deux champions, l’une au féminin, Xana, l’autre au masculin, Vicente, en a fait profession. C’est chez les Gonzales, une vraie histoire de famille, puisque les gants de Gérard Pierrou, c’est le grand-père, Jean Louis qui les confectionnait,
on parle là des années 70-75 quand l’actuel président du club figurait parmi les meilleurs joueurs du circuit…
25 heures de patience
Si le gant neuf est ainsi un accélérateur de performance « parce qu’il n’a pas encore travaillé » nous dit Jean Olharan, il donne en revanche beaucoup de travail à ceux qui le font naître de leurs mains, rien que de leurs mains. 25 heures, c’est ce qu’il faut compter pour la confection de cette œuvre d’art, dont un gamin jouant dans le jardin de son grand-père fabricant de paniers pour les ménagères, ceux-là, est à l’origine. Il eut l’idée de les bricoler, de les torturer, de les ficeler sans savoir qu’il venait de mettre au point l’ancêtre du gant, qui peu avant 1900 révolutionna ce jeu…
Aujourd’hui, on ne bricole ni ne torture plus, non, les méthodes ont changé mais rien n’a remplacé la main du « cestero ».
Le gant, c’est du bois de châtaigner et de l’osier. Le premier fera l’arceau, la charpente. Il prend sa forme arrondie après un long passage dans un bain que l’on appelle étuve. Alors, humidifié à souhait, une cordelette relie les deux extrémités, il dessine une harpe, mais l’opération étant double il sera gant une fois l’osier tressé lamelle après lamelle. Là, il est une catapulte capable de propulser la pelote à plus de 300 kilomètres heure, vitesse homologuée par le « Guiness » livre des records. Ce record c’est Goïko, le légendaire Goïkoxéa, qui l’a établi avec un gant de chez Egurbidé. C’est lui aussi, à Mutriku, qui met au point les gants d’Aritz Erkiaga, le digne successeur de Goïko. Et c’est aussi à Mutriku qu’opère Ulacia, spécialiste des gants pour les arrières lui. Il a aussi traversé les générations puisque Eric Irastorza, autre génie et légende de ce jeu, y prenait ses gants hier, quand Thibaut Basque les prend aujourd’hui, comme à peu près tous les joueurs d’Euskadi et d’Espagne.
Le gant a ses références, son prix aussi !
Les avants et les arrières ne font pas usage des mêmes gants donc. « Celui des arrières est plus grand, le fond du panier n’est pas le même non plus » précise Jean Olharan qui pour sa part joue avec un « 63 » puisque les gants déclinent aussi une taille, celles des seniors démarrant à 63. Vu la violence des coups échangés sur la cancha, le gant a-t-il également une durée de vie sur sa carte de visite ?
La réponse n’est pas celle que l’on prête aux normands, oui et non, mais elle s’en approche un tantinet tout de même, on écoute Jean Olharan : « A l’époque où les gants n’étaient pas cher, les joueurs espagnols changeaient toutes les trois semaines, le rythme s’est ralenti avec la plus value prise par les gants qui peuvent aller jusqu’à 700, 800 euros. » A ce prix là, Jean Olharan a préféré garder le même gant tout l’hiver même s’il « ne répondait plus beaucoup.»
Un instrument de riches
Plus sérieusement, Jean Olharan n’hésite pas à parler de complicité entre le joueur et le « cestero ».
« Si le gant te va bien tu essaies de le garder plus longtemps, et tu essaies de garder le même cestero, puisque s’il est bon chaque gant ira bien à ta main ». N’oublions pas que le gant d’un joueur de punta comme de place libre prolonge la main et devient part entière de son corps. L’osmose doit donc être parfaite.
A ce prix encore, le gant en carbone dont Ion Zabala est l’ambassadeur pour la promotion a-t-il un avenir ? Son apparition dans un tournoi mixte par équipe n’a pas été des plus convaincante, mais il est sur le marché désormais. Le gant en « 3D » fait lui son apparition, c’est à Mauléon que Mathieu Christy l’imprime puis rajoute au plastic, des lamelles de carbone, il s’agit là d’un gant éducatif.
D’où qu’il vienne, quel qu’il soit, le gant est donc un instrument de « riches » qui fixe des limites aux clubs, moins côté Pays Basque que Béarn où la Section Paloise est désormais la seule à proposer cette discipline à ses adhérents. C’est le revers d’une médaille qui de l’autre côté accueille avec bonheur une relève dont elle a bien besoin. A Vitoria, Aaron Gonzales de Matauco, se lance dans la confection de gants, et il a 28 ans, à Biarritz c’est Laurent Sorozabal, 20 ans bientôt de pratique qui à formé « Mutxo » 45 ans et puis « Eskutik », soit, « à la main » en basque, a fait la présentation d’un gant nouveau qui pourrait en modifier l’économie. Il aurait une plus longue durée de vie en raison d’un tressage différent, et il serait réparable par pièces détachées. « Il en va de l’avenir de la spécialité » conclut non plus Jean, mais Jean Marc Olharan, son père dont on sait le regard d’expert qu’il porte sur la pelote en général... et le gant en particulier.
Gérard Bouscarel