Laurent Alliez rejoue avec son fils, le plaisir n'a pas d'âge
Ce soir là, sur la cancha du jaï alaï palois, les M19, que l’on appelait cadets autrefois, de la Section reçoivent ceux de Bidart pour une partie de classement. Les « verts » de la Section ce sont Julen Alliez à l’avant et Angel Doumengès à l’arrière. Le juge à la ligne 7 c’est « Kiki » Doumengès. Assis dans les tribunes, la veste de sa boîte bien ajustée, prêt pour aller prendre son service de contrôleur chez « Idelis », un spectateur pas tout à fait comme les autres, Laurent Alliez. Doumenges-Alliez version 2024, côté terrain ce sont les deux cousins, Doumenges-Alliez, version années 2000, ce soir là côté civil c’est « Kiki » et Laurent, l’oncle et le neveu … Une jolie histoire de famille reconstituée dans l’intimité d’une partie de cadets un vendredi soir.
Père et fils, fils et père
Chez les Alliez on en joue une autre belle histoire de famille. Laurent 46 ans, retiré des canchas depuis 2018, a remis la main dans un gant qu’il ne décrochait plus qu’à l’occasion du tournoi annuel des anciens d’Hossegor. Laurent Alliez, fils de Jackie la mémoire du clan, rejoue à cesta punta, en 3ème série et il joue avec qui ? Son fils ! Julen (on prononce Youlene), il a 17ans tout juste. Ne cherchons pas plus loin qui, du père ou du fils, initia cette association, tous deux la tenaient secrètement gardée dans un coin de leur tête, le lycéen en classe terminale à St Cricq attendant l’ouverture pour se livrer, l’aîné, contrôleur chez Idélis, patientant jusqu’à ce que Julen atteigne l’âge légal mais en rêvant depuis qu’il était tout petit. Cette union, s’est donc faite comme si, tout naturellement elle devait se faire. Au seul nom du plaisir, un mot qui va revenir plus d’une fois dans le moment que l’on a partagé avec lui, un mot qui, plus qu’une référence sonne, comme un hommage à Georges le grand-père, le totem. Le « père Alliez » comme on l’appelait affectueusement c’est un monument à la Section, un monument qu’elle a honoré d’une immense fresque murale de peur, peut-être, de ne pas avoir assez de mots pour dire toute son œuvre.
« J’ai mal partout, avant, pendant, après »
La pelote qu’il dispensa dès 1955 Georges Alliez, c’était une prière venue de la passion et adressée au plaisir. Ce plaisir qui fait rougir Julen de fierté, « oui, papa a gardé de beaux restes », et si ce papa rougit aussi c’est plutôt qu’il monte dans les tours au point de « souffrir avant pendant et après les parties », mais chassez le naturel et c’est bien connu il revient au galops alors il s’empresse d’ajouter qu’il reste toujours aussi « compétiteur, la rage de vaincre chevillée à la pointe de son gant ». C’était sa marque de fabrique que cette férocité sportive à celui que la nature dota tout de suite d’un physique hors norme. Du haut de son mètre quatre vingt six, il était dans les standards du joueur de rugby, sport qu’il pratiqua d’ailleurs aussi, tout jeune à la Section, voire de ses collègues puntistes espagnols, en général, c’est vrai, plus grand et plus enrobé que les nôtres.
Ainsi donc les compétitions 2024-2025 sont-elles marquées du sceau des unions inter-générationnelles. On vous contait, il y a peu comment Christophe Olha la quarantaine sonnée drivait, en première série un arrière de 19 ans tout juste, Paul Caparrus, on y ajoute aujourd’hui les Alliez père et fils, 29 ans de différence mais le même amour pour ce bout de bois et d’osier recourbé, et pour sa descendance. Ils ne seront très certainement pas champions de France mais ils auront été jusqu’où le bonheur les aura conduit et c’est déjà très loin.
L’important c’est…
Le reste, les titres les honneurs, les trophées, ce n’est pas « peanuts », mais ce n’est pas une quête qui a guidé la carrière de Laurent Alliez au point de l’obséder,. Faites le lui remarquer et il a la parade, la même qu’il possédait au fond de la cancha, « mon bonheur à moi c’était de faire ch… les plus forts, de savoir qu’ils redoutaient de jouer contre moi, que rien ne leur serait facile » On ne l’amènera pas sur le chemin des palmarès, il est copieux soyez en assuré, il n’y est jamais trop allé et n’a pas archivé non plus les grandes dates de son parcours dans sa mémoire, ce qu’il résume de cette jolie formule, « les coupes, les trophées, je les donnais, je ne gardais que le jambon ou le panier garni quand on en gagnait un.» Il fut pourtant de cette première génération des professionnels à une époque où on ne mélangeait pas les catégories et disputa les championnats du monde pros des quiñielas que la fédération internationale organisa, sans succès, trois ans de suite à l’ouverture du complexe en 2006. Les paris sur la pelote n’iraient pas plus loin. Le championnat de France Pro non plus, il y figure, avec Jean Olharan, en 2012 sur la seule ligne du palmarès de l’épreuve
Comme la majorité des pros Laurent Alliez a vécu l’Amérique, l’eldorado de la punta. « Dès que tu joues à la pelote tu penses à l’Amérique c’est le rêve de tous les gamins ». En 1999, il a 21 ans, c’est en champion de France -avec Laurent Garcia- qu’il traverse l’Atlantique pour débarquer au pays de l’oncle Tom. Trois mois à Miami, quatre à Fort Pierce, un retour à Miami et puis, et puis au bout d’un an et demi le compte n’y est pas tout à fait. Laurent Alliez est, à plusieurs niveaux, sentimental, professionnel, en phase de « construction de quelque chose. » Où le construire ? Là bas, loin ? Ici, chez lui ? Près de ses racines ? Le choix est vite fait. Il rentre. Il revient jouer à Pau mais aussi à Hossegor où il jouait déjà en extension de licence pour pouvoir pratiquer la cesta punta. Il a aussi des contrats en Espagne « sa » pelote lui ayant toujours valu le respect des puntistes basques.
L’ Amérique, oui mais
Quelques jolis lauriers en plus, citons pêle mêle, les titres nationaux avec Laurent Garcia (1 fois) David Trécut (2 fois) , une coupe du monde en 2005 à Accapulco, avec Laurent Garcia, la coupe d’Europe des clubs en 2004 avec David Trecu trois Cesta de Nadaü, 2010 avec Laurent Garcia, 2011 et 2012 avec Jean Olharan, quelques années en plus aussi, il retourne aux USA Laurent Alliez et deux fois même. Les champions de France « pros » Olharan-Alliez honorent en 2012 l’invitation faite pour disputer le tournoi « Citrus » d’Orlando. C’est à l’échelle américaine l’olympiade de la punta. Le duo palois défend donc les couleurs de la France, et plutôt bien face à la légion des puntistes étrangers établis sur place, il termine 3ème par équipe, Laurent est aussi le 3ème arrière Jean Olharan le deuxième avant! En 2013, c’est l’un des grands managers des jaï alaï de Floride qui sollicite Laurent Alliez et il ne peut lui dire non. A Fort Pierce, la première fois, il a sympathisé avec Stuart, plus que ça ils ont fait la fête ensemble, « et ça tisse des liens ».
Il repart donc avec un contrat de deux mois pour la réouverture du fronton. Il n’est pas seul, son ami David Trécut est du voyage, Jean Olharan aussi, Arnaud son frère, Nicolas Eyheregaray encore ! Mais ce n’est pas encore assez pour le convaincre de prolonger aux States comme le font la plupart des cracks de ce jeu. Il rentre en France lui l’ arrière que bien des spécialistes, classent au même rang que les Lopez, Irastorza, Goïco, Erkiaga question talent, lui dont Daniel Michelena, une référence punta s’il en est, assure l’avoir « vu jouer 12 jours d’affilée sans commettre la moindre faute »…
Maître de ses volontés
Laurent Alliez acquiesce, souligne combien Michelena était important pour aider, conseiller, ceux qui arrivaient, mais sur le fond sa réponse est sans ambiguïté.
« J’ai joué la pelote tel que me l’a appris papy. » Et si en une seule phrase Laurent Alliez avait tout dit, ou presque, de ce que fut le fil rouge de son itinéraire sur les canchas. Laurent l’a si bien apprise cette ode de papy qu’à 46 ans, six ans après sa dernière partie officielle qui fut aussi celle d’un titre en place libre avec Itoïz et Eyeheregaray, il a remis le gant. Pour jouer avec son fils, tout simplement. Pour le plaisir. Pour aller boire un coup après la partie. Pour faire des ennemis de la cancha de vrais amis après. Pour faire la fête et il ne se cache pas de l’avoir fait. Comme il assume parfaitement de ne pas avoir toujours eu l’hygiène de vie du sportif de haut niveau. Non, Laurent Alliez n’a peut-être pas le palmarès du ténor qu’il aurait pu être tant il dominait le jeu, tant il le voyait, le lisait, tant il « était incroyable » dixit Jean Olharan, mais ce n’est pas ce qu’il a demandé à la pelote. Ce qu’il lui a demandé à la pelote c’est d’être heureux. Et Il le fut. On sait qu’à 46 ans avec Julen son fils, il l’est encore... Et puis surtout comme le chanta Serge Lama, il a fait ce qu’il a voulu.
Gérard Bouscarel